Madeleine Delbrêl

L’Evangile au coin de la rue
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La plus grande partie de cette page est tirée d'un article du numéro de Novembre 1997 de la la revue Panorama. Je remercie les responsables de cette revue, en particulier, Mayanne Chauvet, pour l'autorisation qu'ils m'ont accordée de publier ces lignes.

 

En 1933, une jeune chrétienne décide d'aller vivre à Ivry « capitale » du communisme français. «Contemplative » en pleine ville, Madeleine Delbrêl a ouvert la voie à une expérience missionnaire incomparable. L'évêque de Créteil a introduit la cause de sa béatification.

Il fallait oser ! le 15 octobre 1933, trois jeunes femmes s'apprêtent à embarquer pour une « terre étrangère ». Nul besoin de passeport, ni de billet de train, pas de mers à traverser ni de jungle à affronter. Le voyage risque pourtant d'être long et les rencontres plutôt inattendues. Avec l'insouciance de la jeunesse, Madeleine Delbrêl et ses deux copines traversent les boulevards «Maréchaux» de Paris comme on franchit le Rubicon. Destination Ivry-sur-Seine. Dans l'entourage des trois ex-cheftaines scoutes, on crie casse-cou. Car c'est, ni plus ni moins, dans la capitale » du communisme français que ces trois chrétiennes ont décidé de s'installer. Elles veulent être missionnaires dans la cité « rouge » aux 300 usines, là où le seul « credo » est celui du marxisme et où les réunions de cellule ont, depuis longtemps, supplanté la messe dominicale.

Ce projet fou, Madeleine Delbrêl a pris le temps de le mûrir avec son aumônier; l'abbé Jacques Lorenzo. C'est grâce à lui que j'ai eu personnellement la chance de rencontrer cette femme hors du commun. La Seconde Guerre mondiale venait de finir en ruines. J'étais depuis deux ans au séminaire de la Mission de France, à Lisieux. Le cardinal Suhard s'était longtemps battu pour que s'ouvre un séminaire d'un genre nouveau, en prise avec les défis de l'athéisme contemporain. C'est dans ce séminaire que l'abbé Godin, un aumônier de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne était venu travailler son célèbre rapport devenu, depuis, « France pays de mission ».

Il y dénonçait notamment le « mur qui sépare aujourd'hui l'Eglise de la classe ouvrière ». C'est pour abattre ce mur que Madeleine Delbrêl, jeune bourgeoise que rien ne préparait à un tel choix, décide de s'installer en plein fief du Parti communiste. Pour la plupart des catholiques de l'époque, le communisme, c'est le diable. On reprochait aux prêtres ouvriers de passer un pacte avec Satan. Malgré toutes les embûches, Madeleine franchit le fossé, celui qui divise la ville d'Ivry rejetant les catholiques d'un côté et les prolétaires de l'autre.

Loin d'avoir peur du communisme, elle choisit de faire de l'athéisme le lieu de sa propre conversion. «Jamais Dieu n'a dit : vous devez aimer votre prochain comme des frères exceptés les communistes que vous devez haïr...», lance-t-elle lors d'un meeting...

Au début de son installation à Ivry, Madeleine a encore des idées bien « pieuses » Priez pour Ivry où le péché officiel du laïcisme rouge s'est affreusement affiché», dit-elle a ses amis dans les premiers jours. Mais, très vite, elle prend conscience qu'en restant à l'intérieur du cocon poussiéreux de sa paroisse, elle va passer à çôté de l'essentiel. A l'époque, les théologiens ne parlent pas encore «d'inculturation ».

Mais c'est pourtant bien de cela qu'il s'agit : il faut apprendre le langage de l'autre, s'ouvrir à la différence, fut-elle celle de l'athéisme marxiste. En 1935, la petite communauté fondée par Madeleine Delbrêl s'installe près de la mairie communiste. Elle ne cherche ni à convertir ni à lancer des anathèmes. Elle mène la vie ordinaire des hommes et des femmes de ce quartier ouvrier (à l'époque on disait «prolétaires » !) et elle gagne leur confiance. Le maire communiste adjoint d'Ivry, Venise Gosnat, lui ouvre sa porte et son amitié.

Bientôt, Madeleine sent l'opportunité de travailler au service social de la mairie. Elle découvre alors la misère et l'injustice par le biais du combat communiste. Cette confrontation quotidienne avec l'athéisme marxiste va désormais faire partie de sa foi de chrétienne. « Les communistes ont gagné mon amitié par leur volonté onéreuse de devenir ce qu'ils avaient choisi d'être », écrit-elle mais sans que cela entraîne chez elle une fascination pour le marxisme . Très tôt, elle a senti l'incompatibilité fondamentale entre marxisme et christianisme. Il ne faut pas confondre l'émancipation du prolétariat avec l’idéal évangélique, dit-elle en substance. Ce qui ne l'empêche pas de lutter aux côtés de ses frères communistes.

Elle est de tous les combats pour les pauvres et pour la justice. Après la guerre, elle défend la cause des opposants au franquisme. C'est cette femme à la fois discrète et déterminée, qui nous fascine, nous les jeunes séminaristes, lorsqu'elle débarque au séminaire de Lisieux. D'emblée, entre la Mission de France fraîchement créée et Madeleine Delbrêl, la connivence est totale. Des pans entiers de la société française n'ont pas (ou plus) accès à la saveur du message évangélique. L’Eglise doit sortir de ses sacristies, parler le langage des hommes et les rejoindre. Les premiers prêtres ouvriers ont ouvert la voie... Le Père Lorenzo, en qui Madeleine a trouvé un guide pour son projet missionnaire, est à l'époque l'un de nos maîtres spirituels. Madeleine vient fréquemment le consulter et, naturellement, le Père Lorenzo nous la présente. Il lui cède parfois sa place et Madeleine nous fait la « lecture spirituelle ». Une lecture nourrie, enrichie de ce qu'elle vit à lvry.

On imagine mal aujourd'hui la transgression que cela représentait une femme introduite dans les murs d'un séminaire et, qui plus est, pour témoigner de la foi sans aucun doctorat de théologie C'est à Madeleine que je dois une grande part de ma « conversion», de mon passage d'un catholicisme appris et reçu à une foi vivante.

Conversion », le mot a un sens très fort pour Madeleine. Née en 1904 à Mussidan en Dordogne, elle a grandi de gare en gare, son père étant employé de chemin de fer. Jusqu'à ce jour de 1916 où sa famille s'installe à Paris. Quatre ans plus tard, la jeune fille qui, entre-temps, a fait sa communion, ne trouve plus ni sens ni intérêt à la religion. «Dieu est mort, vive la mort», lance-t-elle en proclamant son nouvel athéisme.

A la Sorbonne, elle suit les cours de Philo de Léo Brunschvicg. Puis Madeleine « l'athée » se fiance à un catholique convaincu. Un jour, il lui annonce son entrée chez les dominicains. Madeleine ne se mariera jamais. Après cette séparation, elle se sent remise en cause dans son athéisme affiché et proclamé. « Et s'il n'était pas absurde que Dieu existe ?», finit-elle par se demander. Madeleine cherche la réponse et décide de prier. Un acte volontaire, et en même temps un geste terriblement pauvre. Elle prie à genoux pour, dit-elle, casser en elle toutes les emprises de l'idéalisme. Elle revient à la foi, aidée par la lecture de Thérèse d'Avila qui, toute sa vie, restera une référence.

Plus tard, à lvry, la communauté nouera des liens étroits et fidèles avec des carmélites. Tout comme la Mission de France pour qui le Carmel est un point d'ancrage essentiel. Ce passage par l'athéisme a sans aucun doute permis à Madeleine Delbrêl de mieux comprendre ses futurs compagnons communistes d'Ivrv. Lors de ses interventions au séminaire de la Mission de France, elle nous fait percevoir une façon totalement libre de vivre sa foi. Pour elle, aimer n'est ni un « devoir ni une vertu, mais une «folie». La foi ne nécessite ni crainte ni visage fermé et triste. «Nous sommes tous des prédestinés à l'extase, tous appelés à sortir de nos pauvres combinaisons pour surgir heure après heure dans le plan [de Dieu]. Nous ne sommes jamais de lamentables laissés-pour-compte... », affirme-t-elle, Un véritable courant d'air frais dans une Eglise encore marquée par le jansénis-me et « la religion de la peur».

Madeleine Delbrêl nous a fait un cadeau précieux: subitement, la foi cessait de n'être qu'une dogmatique abstraite ré-unie en archives pour prendre le goût de sel d'une aventure.

Une foi de nomade

La petite communauté de Madeleine conjugue intériorité et engagement. Un moment tentée par la création d'un nouvel ordre religieux, elle y renonce finalement pour demeurer « nomade ».

« La condition qui nous est donnée, c'est une insécurité universelle, vertigineuse », une insécurité au parfum de liberté, celle même du Christ.

En 1942, Madeleine précise sa pensée: « Nous sommes de vraies laïques, n'ayant pas d'autres voeux que les promesses de notre baptême. Un groupe féminin, laïc, quoique chacune de nous soit donnée entièrement au Christ pour essayer de le vivre et d'être avec lui au milieu de ceux qui ne le connaissent pas ». Et elle ajoute : « Par le seul fait de sa naissance, tout homme devient le frère de tous les autres hommes, lorsque, par nos actes, nous nions être son frère, nous nions à la fois et ce que Dieu a créé et ce que nous sommes.»

Cette femme m'a appris que chaque homme et chaque femme sont des Cathédrales assez grandes pour que nous allions nous y mettre à genoux dans la rencontre de Dieu. Désormais, chaque visage humain est un monastère et chaque rue de ma ville est devenue un cloître.

Jean Debruynne

 

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